Presque 7 mois ont passé depuis mon arrivée. Déjà 7 mois. On me demande : qu’as-tu fait pendant si longtemps? Travaillé, fait du bénévolat, étudié ? Rien de cela, j’ai simplement décidé de me laisser porter par la vie sans chercher à justifier ma présence ici -dans ce pays, sur cette terre- par une quelconque activité, et d’assumer sans culpabilité mon rôle de « touriste ». Touriste Ici. Touriste dans cette vie. Laisser tomber ces étiquettes qui donnent à notre ego une raison d’être, ces masques qui nous protègent, ce confortable quotidien qui nous rassure, ces armures d’acier qui nous emprisonnent. Se dépouiller. N’être plus rien, pour être vraiment. Perdre ses repères, se perdre soi-même pour se trouver. 

Touriste égarée sur les chemins de son cœur, en recherche d’absolu, j’ai rencontré ce peuple qui m’a accueillie comme si j’étais sienne. Ces gens m’ont ouvert leur porte, leurs bras, leur cœur. Ils vivaient avec presque rien mais ils m’ont tout donné. Certains ne savaient ni lire ni écrire, et pourtant ils ont été mes plus grands professeurs. Nous ne parlions pas la même langue mais ils n’ont pas eu besoin de discours pour m’adopter, et leur regard a remplacé les plus belles métaphores.

Villages reculés, monastères bouddhistes, monts enneigés, ateliers de peinture, table jaune sur la place de Bandipur… Chute sur le visage, fracture de dent, infection, tendinites… J’ai suivi les sentiers escarpés sur lesquels la vie m’a menée, j’y ai rencontré de très belle personnes venues du monde entier se perdre elle aussi, me montrer le chemin parfois. Je me suis assise et j’ai appris à ne rien faire, à prendre le temps plutôt que de lui courir derrière. « En occident vous avez des montres, ici nous avons le temps » m’a dit un Népalais ! Je me suis assise et j’ai appris à admirer la vie et ses cadeaux plutôt que de l’imaginer, l’idéaliser, lui en demander toujours plus et finalement passer à côté… Je me suis assise et j’ai appris à faire face à une réalité que je fuyais. Je me suis assise et j’ai appris à aimer. Je me suis assise et j’ai appris à vivre. Vivre vraiment. Aujourd’hui le temps est venu de me lever, poursuivre ma route. Vivante.

Derniers adieu, derniers momos, derniers tours de stupa, derniers mots de Népalais, dernières négociations avec le vendeur de bananes, le chauffeur de taxi, je m’accroche à ces « derniers » comme s’ils pouvaient figer l’instant, retenir le temps. Futilement.

L’avion décolle dans le bruit sourd du moteur qui vous propulse vers un ailleurs. Les lumières de la ville s’éloignent, s’amenuisent. Etoiles sur terre alors que je plonge dans le ciel.  

Si je savais que 48 heures plus tard le sol tremblerait et ensevelirait des milliers de vies, détruisant tout jusqu’aux plus fières et centenaires monuments. Si je savais que ces gens qui me sont si chers perdraient tout alors qu’ils n’avaient presque rien. Si je savais que je me sentirais si coupable de retrouver mon petit confort et de les avoir abandonnés dans l’épreuve… Serais-je été capable de sauter de cet avion en marche pour vivre à leur coté le désarroi, l’angoisse, la faim… Et certainement apprendre une fois de plus de leur inébranlable optimisme et de cette force de vivre qui brille dans leur regard.

Culpabilité d'y avoir échappé. Ma place devrait être avec eux. Et puis quoi ? Soulever des briques une par une dans le paroxysme de l’inutilité pour soulager ma conscience ? Alors je remercie une fois de plus l’univers de m’avoir épargnée, porte ces familles dans mes prières et contribue matériellement, de loin, à une aide qui pourra leur être apportée. Comme ils le disent si bien « que gorné ? », « que faire ? ». Que faire face à l’absurdité de la vie ?

A ce peuple qui m’a tant appris.