• Bisket Jatra, nouvel an Népalais (10 au 18/04/15)

     

    Avec ses 50 grands festivals par an inscrits parmi plus de 300 occasions de faire la fête, Bisket Jatra est la plus célèbre manifestation de Bakthapur depuis le douzième siècle. Religion, tradition, légende… les histoires qui se cachent derrière ces évènements hauts en couleurs sont tout aussi incroyables que les rituels qu’ils nous offrent en spectacle. D’ailleurs la plupart des Népalais ne savent plus vraiment quelle est la véritable origine et l’explication de ces drôles de rituels mais cela ne les empêche pas de s’y adonner à cœur joie ! 9 jours durant la ville s’anime et son habituelle euphorie semble bien pâle comparée au véritable bordel qu’occasionne le rassemblement de milliers de personnes venues célébrer cet évènement ! 

     

     

    Marquant le début d’une nouvelle année selon le calendrier Népalais Bisket Jatra rend hommage aux Dieu Bhairava et à la déesse Bhadrakali, manifestations de Shiva et Parvati. On les promène dans la ville dans  leurs respectifs « chariots-temple », qui attention, sont loin d’être de petite brouettes dans lesquelles on baladerait ces Déités comme son enfant dans une poussette ! Le plus grand et célèbre est celui du Dieu Bhairava, bringuebalant assemblage de massifs morceaux de bois de plus de 8 mètre de haut, c’est un véritable temple à roulettes. Plus que des roulettes, ce sont d’immenses roues de bois dont on se demande comment elles font pour tourner et sur lesquels on a dessiné des yeux. Est-ce pour permettre au Dieu de mieux voir où fonce son habitacle dénué de direction et de freins ? Les trois étages sont couverts d’un toit dont les bordures qui vont venir arracher tout ce qui traine sur leur passage sont ornées d’un joli tissu rouge et doré. Ça atténue un peu le côté engin de guerre ! Enfin, l’avant ressemble plutôt à celui d’un navire avec sa poupe jaune ornée de grelots géants et autres étrangetés, sur laquelle grimpe un leader qui motive les troupes chargées de tirer sur une énorme corde,  en hurlant « hashé » (tirez) tandis que ces derniers répondent en cœur et dans l’effort « hasha » (nous tirons).  Il faut bien tout ça pour espérer faire bouger ce monstre de 4 tonnes, qui ne semble pas décidé à bouger d’un cm ! Sa réplique, la demeure de la déesse Bhadrakali est quant à elle plus raisonnable au niveau de sa taille et semble servir d’entrainement aux plus jeunes qui imitent déjà à merveilles leurs aînés.

     

     Bisket Jatra, nouvel an Népalais (10 au 18/04/15)  

    Chaque soir on les gare à différents endroits de la ville pour permettre aux habitants de venir faire leurs offrandes et sacrifices. Les enfants s’amusent à grimper dessus comme pour défier les Dieux tandis que les hommes observent de loin ce titan de bois qu’il ont eux aussi un jour provoqué, se remémorant leur jeune temps. Les femmes le parent de poudres de couleur, de pétales de fleurs, de grains de riz à la volé, alors que les touristes s’arrêtent un instant pour le photographier et d’un air sceptique se demandent bien comment il est possible de déplacer un pareil bringuebalant édifice !

    Le début du festival est marqué par une bataille entre les parties Est et Ouest de la ville qui chacune de leur côté tirent ce fameux chariot, la gagnante étant évidemment celle qui arrive à déplacer l’engin de son côté. Je n’assiste pas à cette étape mais l’incroyable hystérie qu’on me décrit le lendemain annonce l’ambiance des jours qui vont suivre !

     

     

    Les festivités se poursuivent par un autre rituel tout aussi étrange et spectaculaire : l’érection d’un tronc de plus de 25 mètres, appellé Yeo-sin-deo, représentant un lingam érigé sur un yoni (symboles des organes génitaux mâles et femelle). Au sommet de ce fameux mat sont suspendus deux grands tissus représentant les serpents issus d’une légende concernant la princesse, fille du roi de Bakhtapur. Chaque soir cette dernière exigeait un nouveau prétendant qu’on retrouvait mort au petit matin. Une nuit un prince décida de rester éveillé pour percer le mystère et découvrit alors la cause du décès de ces prédécesseurs : deux serpents qui sortaient des narines de leur bien aimée ! Tuant les deux reptiles, il mit ainsi fin à cette malédiction, tandis que le roi lui rendit grâce en érigeant deux drapeaux sur une perche de bois. Cette étrange tradition serait donc une commémoration de cette mythique bataille. 

      

    Le matin, un mat est érigé sur la place des potiers, comme un entrainement avant celui qui sera dressé le soir même. Le fameux tronc est au sol. Première question : comment un tronc d’une telle envergure est il parvenu sur cette place compte tenu de l’étroitesse des rues sinueuse qui permettent son accès ? L’interrogation reste  sans réponse, mais quand il s’agit de réaliser ce genre d’exploit saugrenu, les Népalais sont plutôt astucieux ! deuxième question : comment vont-ils soulever un pareil poteau ? 2 heures d’attentes vont être nécessaires pour obtenir la réponse. Des cordes. On tire à la force du poignet poussant de grands cris. Des cales qu’on place à l’autre extrémité et qu’on déplace centimètres par centimètres. Le mat se lève de quelques degrés, puis redescend, remonte. La foule patiente et accompagne de grandes clameurs les oscillations de ce tronc coiffé d’une touffe de branchages. Plus que quelques efforts avant la verticale. Les cris du public encouragent ceux qui donnent leur dernières forces, tandis que  les dernières minutes paraissent les plus longues. Quelques oscillations, puis dans un élan un peu trop enthousiaste, le tronc gagne la verticale et commence à tomber de l’autre côté. La clameur monte tandis que les spectateurs placés juste sous le dangereux poteau ne semblent même pas amorcer le moindre mouvement de fuite. Puis comme s’il avait décidé de les épargner ou se donner des allures de tour de Pizz, ce dernier s’arrête net. On applaudi et la foule un peu trop confiante qui dès le début s’était amassée à son pied se disperse. Il restera là jusqu’à la fin du festival afin qu’on puisse venir y faire des offrandes, colorer sa base d’un tika, l’orner de sang de poulet et de quelques plumes, histoire de lui donner un petit côté festif !

     

     

    Puis l’après midi le char du Dieu Bhairava doit être conduit jusque sur la place Yoshin Khel dans le contre bas de la cité. « Hashé, hasha, hashe, hasha, oh, oh, oh ! » On . s’époumone, on s’épuise. Rien à faire. Il tangue de droite à gauche, de gauche à droite dans un bruit de fond de cale et des grincements à faire fuir n’importe quelle homme censé, mais non, on se rue dessous, on s’approche pour mieux voire, on grimpe dessus, on hurle et dans un ultime effort l’engin se met à avancer comme sous la volonté d’un Dieu qui aurait décidé de donner le feu vert ! Hurlements de joie, mouvement de foule, l’engin est lancé et disparait déjà dans a petite rue qui mène à Yoshin Khel, balayant tout sur son passage. Je descends de mon perchoir au sommet du temple sur lequel sont confortablement assis les CRS derrière leur bouclier de polycarbonate. Une chose est sûre : ils ne risquent rien !

     

      

    Sur Yoshin Khel, la foule se presse déjà pour accueillir le monstre de bois. Des paires d’yeux au balcon, par les fenêtres, sur les toits, les murets, les rambardes, on s’amasse dans une proximité qui n’a que faire de la notion d’espace vitale tandis que chaque centimètre carré semble être exploité. Un groupe de musique rappelle la Bretagne avec des airs de cornemuse tandis que l’attente se prolonge.

     

     

    Parmi des milliers de personnes, je retrouve par hasard des amis avec qui nous avons la chance de monter sur le toit d’une connaissance de Mélinda. Nous passons alors les différents étages, traversons les habitations des gens qui boivent le thé, mangent un dhal bath, regardent la télé, nous observent passer, nous les saluons, c’est convivial ! En position stratégique, il ne nous reste qu’à patienter… encore, et encore…

     

     

    Une heure. De grandes clameurs, un mouvement de foule semble venir de la petite rue, tout le monde hurle, le voilà ! Nous le voyons apparaître au coin de la rue. « Hashé, hasha, hashe, hasha, oh, oh, oh ! » A nouveau on s’époumone, on s’épuise. Plus rien. Il est bloqué ! Certains sont couchés à l’intérieur et poussent avec leurs pieds contre les immenses roues, d’autres tirent, secouent. Absolument rien. Le monstre de bois tangue et nargue la foule de ses grincements. Parfois quelques rigolos poussent un grand cris et se mettent à courir, créant de grands mouvements de foule et de fausses joies à ceux qui n’ont pas la chance de voir l’engin qui ne bouge toujours pas. Il tangue, vacille. Avant, arrière, semble prendre un élan et… toujours rien ! ça en devient presque énervant. Dans le contre bas on se prépare pour ériger le mat, lui aussi fait des aller-retour et ne dépasse pas les 45 degrés. Une heure, puis trente minutes de plus. Une bougie est plantée sur la poupe ces 4 tonnes qui refusent d’avancer, le soleil a depuis bien longtemps renoncé. Je m’apprête a en faire autant quand soudain…

     

    Un craquement, le monstre  sanctuaire se décide à avancer et comme pour rattraper le temps perdu se lance dans la pente sans que rien ne puisse l’arrêter. On crie, on court, on se bouscule, la foule est en liesse. D’habitude il écrase quelques personnes au passage, cette année il semblerait qu’on ait eu de la chance. Nous redescendons de notre perchoir, traversons à nouveau les habitations, Bonsoir messieurs, mesdames, pardons du dérangement… Ici on n’est pas comme ça, la notion de propriété privée a des aires un peu commune !

     

     

    Tandis qu’on se fatigue toujours à tirer sur ce poteau qui lui aussi semble avoir de la peine à bouger, je rejoins Rickey et sa famille pour un repas de tradition Newar. Riz (évidemment !) curry, dhal, achar, papad, chips de crevettes, sa mère est un véritable cordon bleu ! Puis mangue, papaye et le fameux yogourt de Baktapur ! Je fais connaissance dans cette joyeuse et festive ambiance des autres membres de sa famille, puis nous retournons sur la place Yoshin.

     

     

    Le mats se dresse fièrement tandis que quelques téméraires continuent à l’escalader, n’hésitant pas à risquer leur vie pour ramener un échantillon de l’une des branches accrochées à son sommet.

     

     

    « First of Baishak ». Alors que le premier janvier en Europe tout le monde a la tête dans le cul, se lève à midi et se traine d’un canapé à un autre en ayant déjà oublié ses bonne résolutions, ici il est à peine 5 heures que la musique résonne déjà dans les rues. Flutiaus, tambours d’un côté, cuivres de l’autre, les groupes se croisent dans une drôle et joyeuse cacophonie ! Les femmes arborent leur plus beau sari et un plateau à la main font la tournée des temples. On se presse autour des demeures divines dans des effluves de pétales sucrées, des gerbes de poudre colorée et le scintillement des grains de riz blanc.

     

     

    Je me rends place des potiers ou j’aimais le matin m’assoir boire mon thé, alors que la brume se dissipait et que les premiers rayons du soleil venaient caresser les pots qu’on alignait. C’est bizarre, ce matin il y a un truc bizarre... comme une odeur de… une poule sans tête vient de voler par la fenêtre du temple. Son pauvre corps se débat sur le sol tandis que le sang gicle par ce qui lui servait de cou. Un dernier soubresaut. Sa congénère encore vivante lui jette un regard inquiet alors qu’on la traine par les pattes. On la bénit, l’asperge, puis elle entre dans le temple, je préfère ne pas la voir ressortir ! La foule déambule dans les rues de Baktapur où giclent poudres colorées, sang d’animaux sacrifiés, volent les voiles des robes traditionnelles et saris, et se pavane mini-jupe au vent la nouvelle génération montée sur talons.

    En fin de journée le poteau qu’on a mis tant de temps à hisser la veille ne met que quelque secondes avant de tomber sur le sol, la nouvelle année peut officiellement commencer !

     

     

    Il faut maintenant remonter le char où, sur la place Gahiti, il va entrer en collision avec celui de la déesse Bhadrâvati, pour symboliser leur union, sous les acclamations de la foule et à nouveau dans de dangereuse manœuvre complètement incontrôlées. Les Dieux sembles être satisfaits puisqu’ils épargnent une fois de plus les inconscients qui trainent par mégarde sous les roues de leur redoutable demeure mobile !

     

     

    La tranquille bourgade de Thimi, à quelques kilomètres de Bhaktapur ne s’est pas laissée intimidée par sa festive voisine et semble redoubler d’énergie pour rivaliser. Il est à peine 9 heures lorsque nous arrivons à l’entrée du village tandis que sur le bord des rues des petits groupe sont déjà (ou encore) à la bière. Des relents d’alcool viennent comme justifier leur équilibre précaire et leurs yeux brillant.

       

     

    La musique nous appelle un peu plus loin et déjà on nous badigeonne le visage de poudre orange en lançant joyeusement « happy new year ! » Nous voilà aux couleurs de la fête ! Perchés sur les murets, sur les toits, pendus par les fenêtres, on observe la place bondée. Tambours et cymbales s’en donnent à cœur joie tandis que les palanquins se baladent parmi la foule, que tournent les parasols et que volent des gerbes de poudre dans cet enivrant monochrome dont s’est entièrement habillée la place.

     

    Puis dans un joyeux cortège on se met à défiler dans les rues tandis qu’il semblerait que ce soit les palanquins qui tiennent leurs porteurs bien éméchés plutôt que l’inverse ! Ils zigzaguent dans la foule qui tant bien que mal les repousse dans la bonne direction avant qu’il ne fassent des blessés !

     

     

    La procession terminée, nous repassons sur la place principale dont le sol revêtu d’un orange éclatant semble ravi d’avoir pu participer aux festivités. Dans un coin deux poulets sans tête auraient quant à eux préféré rester tranquillement devant la télé !

    C’est d’ailleurs le moyen qu’on choisit la famille de Rickey chez qui j’habite, pour participer au festival sans risquer de changer de couleur, de se faire écraser par un char ou renverser par une foule en délire ! J’assiste donc derrière le petit écran à la suite des évènements : après toute une série de rituels, un volontaire se fait percer la langue sous les acclamations des spectateurs hystériques qui se pressent pour mieux voire. Par ce geste il va apporter bonheur et prospérité au village… au fond, c’est à la mode le piercing !

     

     

    Enfin ce farfelu et frénétique festival se termine par la « revanche du char », ultime bataille dans laquelle les deux côtés de la ville se disputent ce temple roulant. « Hashé, hasha, hashe, hasha, oh, oh, oh ! » A nouveau on s’époumone, on s’épuise. D’autant plus que cette fois ci on tire en même temps de l’autre côté ! Soudain il bouge, la foule se lance alors à sa poursuite dans l’étroite rue, puis il s’arrête quelques mètres plus loin et on s’agglutine. Je me trouve un petit coin sur le bord pour observer la scène. Une vague, la horde cours dans l’autre sens et hurle à plein poumon, voilà le monstre qui revient…

     

     

    Rangée sur le bord je ne bouge pas, je l’attends sur l’écran de ma caméra. Au secours ! Il semble m’avoir prise au mot et me fonce droit dessus avant de s’encastrer dans le poteau électrique juste au-dessus de ma tête ! Tandis qu’il penche dangereusement dans ma direction je suis tente tant bien que mal d’échapper à l’électrocution, prise dans une bousculade qui ne me laisse aucun contrôle sur les évènements. Crachée hors de la foule quelque mètre plus loin, je reprends mes esprits et observe la scène déconcertée ! Sans aucune précaution on essaie d’extraire ce monstre sacré des fils électriques n’hésitant pas à en arracher la moitié, plongeant le quartier dans la pénombre ! tout le monde semble s’en foutre et crie victoire ! la bataille peu continuer ! Comme si cela ne m’avait pas suffi de risquer ma vie, prise par l’adrénaline,  j’y retourne, je m’approche, prête à courir dans l’autre sens à tout moment. Maintenant c’est un bout de toit qu’il arrache et manque d’assommer quelques dizaines de spectateurs ! je commence à comprendre pourquoi ce festival se retrouve deuxième au classement des manifestations les plus dangereuses au monde !

    Et ça c’est sans parler des briques qu’on commence à jeter pour affaiblir le camp adverse ! Normal ! Tout à fait normal ! « go your home ! » Je regarde autour de moi, je suis effectivement la seule femme dans la foule ! Les népalaisent sont à l'abri et observent la scène depuis les balcons ! Le problème : le chemin qui mène à ma maison se trouve juste derrière le char ! Un brave Népalais m’emmène alors par les chemins de traverse pour contourner l’émeute et planqués dans une ruelle je regarde une dernière fois passer ce branlant et grinçant sanctuaire. Tout aussi rocambolesque que scandaleux, ce festival se vie plus que ne se raconte. Adrénaline, euphorie, effervescence, ivresse, tumulte… Fièvre d’une tradition qui enflamme les générations depuis des centaines d’années. Exaltation que le voyageur ne peut saisir dans son essence même, étranger à cet héritage qui le dépasse. Fougue d’une coutume, frénésie d’une légende. Une nouvelle année a commencé !


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